un article du Monde
Sarkozy, plus c’est gros, plus
ça passe
(suite…)
Les interventions
télévisées du Chef de
l’Etat se suivent et, décidément, se ressemblent. Lundi soir sur France
2,
Nicolas Sarkozy s’est une fois de plus félicité qu’en France, « personne ne paie plus de 50% de ce qu’il a
gagné »
(en impôts). Et une fois de plus, il a désigné son modèle : « Le bouclier fiscal existe en Allemagne
depuis plus de
vingt ans »…
Il a répété
cela avec un aplomb déconcertant. Ignorerait-il encore, tant le sujet
lui tient
à cœur, que cette disposition fiscale a disparu outre-Rhin depuis 2006,
en même
temps que l’impôt sur la fortune, auquel elle s’appliquait
exclusivement ?
La
justification politique du bouclier français pâtit évidemment de cet
acharnement à solliciter les faits. « De tous les pays du monde,
ajouta le
Président, la France est celui
qui taxe le
plus les contribuables aisés ». C’est difficile à croire,
parce
que le seul autre pays européen disposant encore d’un bouclier fiscal, le
Danemark,
met
la barre plus haut qu’en France : la somme des impôts sur le revenu et
des taxes locales peut y atteindre 59% du revenu.
De même, la
France n’est pas, “avec
la Suède, le pays d’Europe où les impôts sont les plus élevés“,
comme
l’a
prétendu Nicolas Sarkozy. En témoigne le graphique ci-contre, où le
poids des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales)
est
rapporté au PIB.
Au demeurant,
le « contribuable aisé »
n’est
pas une définition statistique propice aux comparaisons
internationales.
En revanche, Mme Liliane Bettencourt est une référence en la matière.
Elle
verse à l’Etat « plusieurs
millions
d’euros par mois », s’est écrié le Chef de l’Etat. « 400 millions en dix ans »,
précisa
David Pujadas, citant les avocats de la troisième fortune française.
Un impôt de quelque 40
millions
d’euros par an, certes, c’est une somme. Voyons donc à quoi elle se
rapporte.
La fortune de la dame est estimée par le magazine Challenge à 14
milliards
d’euros – au diable les décimales. Et faisons l’hypothèse que ce
patrimoine,
intelligemment placé, rapporte 5% l’an. C’est une hypothèse très
prudente, car
le rendement du capital, sur le long terme, est plutôt de 7% à 8%.
Bref, voilà une
fortune qui assure à Mme Bettencourt un revenu annuel de 700 millions
d’euros.
Pour ceux que l’accumulation de zéros déconcerte, disons que cela
correspond à
plus de deux lotos gagnants par semaine. Ce qui étonne, ce n’est donc
pas que
la dame paie des impôts, c’est qu’elle en paie aussi peu. 40 millions,
rapportés à revenu de 700 millions, cela fait un taux d’imposition de
5,7%.
Il faut donc
supposer que Mme Bettencourt a divisé fortune et revenus de celle-ci
entre
plusieurs bénéficiaires. Le secret fiscal
interdit d’en savoir plus – à moins, rare privilège, de relever du même
centre
des impôts que l’intéressée.
Ce qui est
probable, quoiqu’il en soit, c’est que Liliane Bettencourt acquitte un
impôt de
solidarité sur la fortune (ISF) sans rapport avec sa fortune estimée.
La
quasi-totalité de celle-ci est investie en actions de l’Oréal, la firme
que son
père, Eugène Schueller, créa en 1909. Et comme la riche héritière est
membre du
conseil, d’administration de l’Oréal, ce placement est assimilé à un
outil de
travail et, à ce titre, exonéré d’ISF.
Le commun des mortels
peine en tous cas à admettre que c’est à cette femme, troisième fortune
française, que le Trésor public a remis l’an dernier un chèque de 30
millions
d’euros au titre du bouclier fiscal. Nicolas Sarkozy, lui , sait
pourquoi
: « Je souhaite (que
Mme
Bettencourt) reste propriétaire
de l’Oréal
et que l’Oréal ne parte pas dans un autre pays ».
Etrange justification
du bouclier fiscal. S’il n’existait pas, Mme Bettencourt serait très
vivement
incitée à conserver ses actions de l’Oréal , car en les cédant, elle
perdrait le bénéfice de l’exonération d’ISF sur l’outil de travail.
Avec le
bouclier fiscal, au contraire, l’impôt de Mme Bettencourt est le même –
50% de
ses revenus – que sa fortune soit placée dans l’Oréal ou dans n’importe
quoi
d’autre.